Les énergies fossiles : vers une fin programmée

Les énergies fossiles : vers une fin programmée

 

 

Ce dossier est la version écrite d’une présentation orale réalisée en juin et juillet 2008 en Polynésie française par Bruno GARNIER, membre de 2D attitude.

Il s’attache à répondre à certaines des idées liées au sujet pétrolier : « Il y a encore du pétrole pour 40 ans », « On va encore trouver de nouveaux gisements », …

 

Les énergies fossiles : vers une fin programmée

Introduction

Dans le domaine des énergies fossiles, de nombreux discours nous sont assénés, des plus rassurants aux plus alarmistes. Afin de nous faire une idée sur la réalité de la situation, nous vous proposons une analyse basées sur les données les plus objectives possibles (ou dont la confrontation permet la naissance de cette objectivité), dont certaines vous sont également accessibles sur le réseau Internet :

Il ressort de ces sources diverses et parfois opposées une inéluctable cohérence sur la situation actuelle du monde vis-à-vis des énergies fossiles.

Le pétrole

Le pétrole est de loin la source énergétique la plus consommée dans le monde, et il est aussi le produit « magique » qui a permis de mettre en place le mode de vie dont nous avons l’habitude dans les pays riches.
En effet, il comporte de nombreux avantages :

  • Très grande densité énergétique,
  • Ressources abondantes et faciles à exploiter,
  • Facile à transporter et à stocker,
  • Multi-usages (transport, chauffage, électricité, pétrochimie, …).

Le pétrole est aussi, pour les mêmes raisons, l’énergie statistiquement la mieux documentée. Nous allons donc lui consacrer la plus grande partie de cet exposé.

Prospection

Les découvertes de pétrole ont connu un maximum dans les années 60. Depuis, la baisse est inexorable, malgré les investissements croissants et les technologies de plus en plus avancées. Depuis 1980(voir graphique ci-dessous), nous consommons plus de pétrole que ce que nous trouvons, et cette tendance s’accentue d’année en année (à l’exception des alentours de l’année 2000 qui intègrent dans les découvertes des champs déjà connus à l’époque, mais qui n’étaient pas encore exploitables : pétroles extra-lourd de l’Orénoque (Vénézuela), sables bitumineux de l’Alberta (Canada), réserves des anciens pays de l’URSS comme le Kazakhstan, …). Cette baisse des découvertes de pétrole est d’autant plus impressionnante que les techniques d’exploration on été largement améliorées depuis les années 60, et que les techniques de forage en milieu hostile (nappes fragmentées, plates-formes off-shore de plus en plus profondes) se sont développées dans le même temps.

Cette ancienneté des découvertes se traduit aussi par l’âge des puits dans les principaux pays pétroliers. Le tableau suivant montre qu’il n’y a eu que très peu de découvertes de nouveaux puits durant les cinquante dernières années dans ces quatre pays.

Réserves

La notion de réserve de pétrole est par nature approximative : on ne pourrait connaître la contenance exacte d’un puit que quand la dernière goutte de pétrole en a été extraite. Cependant, il est nécessaire de prévoir la production des nouveaux puits, afin d’adapter les investissements à la production attendue. Les géologues des compagnies pétrolières ont donc mis en place des outils qui permettent de connaître de façon probabiliste la production attendue d’un puits.
Sur ce critère de probabilité d’extraction, ils classent les réserves en trois catégories :

Réserves prouvées : « P90 »

Les réserves prouvées, qui seront extraites avec une probabilité de 90%. Ces réserves incluent les puits découverts, et exploitables dans les conditions économiques et techniques du moment.
Ces réserves prouvées sont déclarées par les compagnies pétrolières et par les États, et sont donc les seules qui soient facilement accessibles. On peut qualifier les réserves prouvées d’officielles. On les nomme aussi « 1P ».

Réserves probables : « P50 »

Les réserves probables sont des réserves avérées, qui ne sont pas exploitables dans les conditions économiques et/ou technologiques du moment, mais dont on peut raisonnablement penser qu’elles le seront à moyen terme. La probabilité de leur extraction est, elle, de 50%. On les nomme aussi « 2P ».
Les « réserves techniques » qui servent de base principale de travail aux géologues intègrent à la fois les réserves possibles (P90) et les réserves prouvées (P50) selon le calcul suivant : Réserves techniques = Réserves prouvées x 0.9 + Réserves probables x 0.5

Réserves possibles : « P10 »

La dernière catégorie de réserves, les réserves possibles, sont elles affecté d’un coefficient de probabilité de 10%, soit que le gisement n’aie pas été encore évalué avec suffisamment de précision, soit que leur exploitation nécessite un bond technologique ou économique qui n’est pas prévisible dans un avenir proche. On les nomme aussi »3P ».

Réserves ultimes

Les réserves ultimes de pétrole représentent la totalité de ce qui aura été extrait, depuis le début de l’exploitation pétrolière, et jusqu’à l’épuisement total de la ressource.
Les réserves ultimes sont donc calculées de la façon suivante : Réserves ultimes = P90 + P50 + P10 + pétrole déjà consommé.

L’estimation de ces réserves ultimes est un exercice périlleux, mais nécessaire à la compréhension globale de la problématique pétrolière.
Depuis les années 70, une cinquantaine d’équipes scientifiques se sont prêtées à ce jeu :

Les conclusions de ces études sont étonnantes :

  • Les estimations sont remarquablement stables depuis 35 ans, et groupées autour d’une moyenne de 2 000 à 3 000 Gb.
  • Les seules estimations divergentes (> 4 500 ou < 1 500) datent des années 70, où les connaissances de la géologie pétrolière étaient beaucoup moins fines que maintenant.

La convergence de ces études nous laisse à penser que la réalité devrait se situer autour de la moyenne. Nous prenons pour notre part comme chiffre de référence pour la suite de ce dossier la moyenne des estimations hautes, soit 2 400 Gb.

Intéressons nous maintenant à l’évolution des réserves prouvées (P90) :

 

Ici, le paradoxe est fort : alors que nous consommons plus de pétrole que ce que nous trouvons, et ce depuis 1980, le montant des réserves prouvées ne cesse de croître…

Afin d’éclairer ce paradoxe, nous allons représenter sur la même courbe le pétrole consommé, ainsi que les réserves ultimes. Ces dernières ayant été estimées plus haut à 2 400 Gb, nous regarderons l’évolution du « reste », c’est-à-dire : Réserves ultimes – réserves prouvées – pétrole consommé.
Ce « reste » correspond naturellement à la somme des réserves possibles (P50) et des réserves probables (P10), représentées en vert sur le graphique ci-dessous :

Nous nous apercevons, que puisque la consommation de pétrole croit forcément avec le temps, et que les réserves prouvées augmentent elles aussi, c’est obligatoirement au détriment des réserves possibles et probables (P10 + P50). Cette quasi-disparition des réserves possibles et probables est très étonnante, et soulève une suspicion : n’y aurait-il pas de réserves classées dans les réserves prouvées (P90), alors qu’elles relèveraient de l’une des autres catégories ?
Afin de répondre à cette question, nous allons étudier plus particulièrement les six pays ayant les plus grosses réserves prouvées du monde : l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Irak, le Koweït, le Vénézuela et les Émirats Arabes Unis.

Si nous reprenons sur un graphiques les informations données par le BP Statistical Review 2007 sur les réserves prouvés des 6 pays qui totalisent plus de 60% des réserves mondiales nous obtenons le graphique suivant :

 

Sur ce graphique, plusieurs points sont sujets à caution :

  1. Sur une période de 25 ans, aucun de ces pays n’a eu une seule année où sa production dépassait ses découvertes,
  2. Durant la première guerre du golfe de 1990-1991, les soldats irakiens ont incendié de nombreux puits de pétrole koweïtiens, ce qui a réduit en fumée environ 6 Gb, ce qui aurait dû faire chuter les réserves koweïtiennes d’autant,
  3. Les hausses importantes depuis 1984 ne reflètent pas de découvertes…

Ces constatations nous permettent de nous interroger légitimement sur la fiabilité des réserves « prouvées » déclarées par ces six pays.
Les raisons de cette surestimation sont multiples :

  • La capacité d’emprunt d’un pays est fonction de sa richesse et donc, pour un pays pétrolier, de ses réserves . Certains pays au train de vie dispendieux ont pu jouer avec ces chiffres pour pouvoir s’offrir des armes supplémentaires (nous pensons bien-sûr au premier chef à l’Irak de Saddam HUSSEIN).
  • Les quotas de l’OPEP, mis en place en 1984, limitaient l’autorisation de production des pays adhérents. Les quotas étaient établis en fonction des réserves déclarées, et il était donc tentant, pour avoir le droit de produire plus, de s’arranger avec les chiffres des réserves (d’où les montées brutales des réserves à partir de cette date).
Nous avons donc l’intuition que les réserves de pétrole sont surévaluées, mais pour avoir une idée plus claire de cette surévaluation, nous allons étudier l’analyse d’un géologue spécialiste de l’exploration pétrolière, Jean LAHERRERE.
 
 
 
 
Dans ce schéma, nous avons deux courbes :
  • La courbe bleue – officielle (réserves prouvées -> déclarées par les états) que nous avons déjà représentée plus haut.
  • La courbe verte – technique (réserves prouvées + probables) telle qu’estimées par Jean Laherrere
La courbe verte présente une cohérence avec les informations que nous avons vues plus haut. Notamment, elle fait apparaître un maximum des réserves en 1980, année ou la consommation de pétrole a dépassé les découvertes, et une baisse constante depuis cette date, ce qui traduit un déficit de découvertes par rapport à la consommation.
Si nous remplaçons les données officielles par les estimations de Jean LAHERRERE dans le graphique de l’État des réserves de pétrole (voir le troisième graphiques avant celui-ci,) on obtient la courbe suivante :
 
 
Cette courbe est bien-sûr beaucoup plus satisfaisante que la précédente (voir 3 graphiques auparavant) :
  • Elle marque une baisse des réserves possibles et probables depuis que la consommation dépasse les découvertes,
  • Elle laisse une place importante aux réserves probables, et donc aux découvertes futures (500 Gb),
  • Tous les types de réserves baissent à des rythmes cohérents (-1,2 % par an pour les réserves prouvées et probables et -2 % par an pour les réserves probables).
Sans maîtriser de façon pointue la géologie pétrolière, nous pouvons quand même affirmer que les estimations de Jean LAHERRERE sont cohérentes, alors que les chiffres officiels ne le sont pas.

Prospective

Maintenant que nous avons une idée des ordres de grandeur des réserves de pétrole existantes, nous allons nous essayer au jeu des prospectives : comment va évoluer la production de pétrole dans les années à venir ?
Nous avons deux chiffres qui, dans leurs ordres de grandeurs, nous sont connus :

  • Il reste environ 1 200 Gb de pétrole à extraire,
  • Nous en consommons 30 Gb par an.
À partir de ces deux chiffres, nous allons essayer de répondre une question qui a fait couler beaucoup d’encre : pour combien de temps avons-nous encore du pétrole ? Innocent
 
La plus naturelle est la réponse arithmétique : il suffit de diviser 1 200 par 30, et nous obtenons 40 ans…
Regardons sur une courbe ce que cette réponse signifie :
 
 

La production se stabilise à la production actuelle, puis demeure stable jusqu’à ce que, aux alentours de 2048, il n’y ait plus une goutte de pétrole exploitable dans le sous-sol. À cette date, elle s’effondrera d’un coup pour devenir nulle.
Il est clair à la vue de la courbe que cette estimation est exagérément simplificatrice. À noter que cette notion fausse peut également être induite par la façon classique dont on parle du résiduel de production d’un gisement, puisqu’on l’exprime en « année de production à taux d’utilisation constant » (ou « il reste pour 40 ans de pétrole au taux de consommation actuel »).
 
Essayons une autre réponse, qui est la réponse des économistes (furieusement optimistes) : nous prenons la croissance moyenne de la production pétrolière des vingt dernières années, et nous la reportons dans l’avenir :

« Toute personne croyant qu’une croissance exponentielle peut durer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». Kenneth Boulding, ancien président de l’American Economic Association.
Dans ce cas, le pétrole sera entièrement consommé en 2038, et nous n’avons donc plus que trente ans devant nous.
Cette courbe, bien que plus satisfaisante que la première, ne résout pas le problème principal : selon elle, tous les puits de pétrole du monde produiront au maximum de leur capacité jusqu’en 2037, puis se tariront en même temps en 2038, ce qui n’est pas crédible.
Nous allons cependant conserver cette courbe car elle illustre bien notre volonté de consommation de pétrole.

Un géologue américain, Marion King Hubert, a théorisé que dans ces conditions, les gisements n’étant pas synchronisés, la production mondiale suivrait une courbe en cloche car, à partir du moment ou la moitié du pétrole sera extrait, son extraction deviendra de plus en plus complexe, et donc mécaniquement, la production baissera, quels que soient les moyens mis en œuvre.
 

Pour récapituler, nous avons trois courbes :

  • la courbe bleue qui ne signifie pas grand-chose,
  • la courbe verte qui exprime notre « envie » de pétrole,
  • la courbe orange qui nous donne la réalité de ce que nous pouvons physiquement espérer obtenir.
 
 
Maintenant, comparons les deux courbes qui donnent du sens sur ce graphique : la courbe verte (ce qu’on voudrait) et la courbe orange (ce qu’on aura).
Autour de 2040, on aura une différence de 80 millions de barils par jour entre ces deux courbes. 80 millions de barils par jour, c’est la production actuelle de pétrole, et c’est deux litres par jour, et par être humain sur la Terre…
 
 
Comment trouver ailleurs cette énergie supplémentaire ?…
Une chose est certaine, nous ne trouverons pas d’énergie aussi facile d’utilisation que le pétrole.
Les autres hydrocarbures sont plus complexes à extraire et à transporter, et ils ne sont pas naturellement liquides, ce qui pose des difficultés pour les transports individuels.
Quant au nucléaire et aux énergies renouvelables, ils permettent de produire de l’électricité, énergie dont le stockage est problématique et coûteux, donc peu adaptée, elle aussi, aux transports individuels.
 
 
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