Crise pétrolière et Outre-Mer

Crise pétrolière et Outre-Mer

 

Ce dossier a été présenté par Bruno GARNIER, membre de 2D attitude, au XVIIe congrès de l’ACCD’OM (Association des Communes et Collectivités d’Outre-Mer) qui s’est tenu en novembre 2008 en Guyane. Son intitulé était L’Outre-Mer uni, force de propositions et d’actions.

 


Introduction

La crise pétrolière actuelle a été largement étudiée au niveau mondial. L’objectif de cet article est de faire le point sur cette conjoncture mondiale, et d’étudier les particularités des collectivités ultramarines afin de comprendre l’influence de cette crise énergétique sur l’outre-mer.

Conjoncture mondiale

Le déclin annoncé du pétrole

Les réserves mondiales de pétroles sont limitées. Les spécialistes appellent « réserves ultimes » la totalité du pétrole qui sera extrait de la terre durant l’histoire de l’humanité.
Le fait que ces réserves soient limitées implique que la production de pétrole, après une croissance exponentielle, va immanquablement connaitre un jour un maximum (pic de production ), puis décroître pour arriver à une production nulle.
Ce fait établi, il reste à évaluer la forme de cette courbe, et notamment la date de ce pic pétrolier.
La théorie la plus largement admise de nos jours est celle d’un géologue américain, Marion King HUBBERT. Selon celui-ci, la courbe de production de pétrole aura une forme de cloche symétrique, ce qui signifie que le pic de production aura lieu une fois que la moitié du pétrole aura été extrait.
En effet, le pétrole de bonne qualité le plus accessible a été extrait en premier (nappes terrestres de faible profondeur situées dans des régions accessibles, dans pays stables politiquement). Le pétrole restant à l’issue du pic de production sera donc un pétrole de moins bonne qualité, ou complexe et cher à extraire (pétrole chargé en souffre, nappes sous-marines ou/et profondes, régions inhospitalières (pôles), pays à l’instabilité politique chronique, …)
De plus, la prise de conscience de la rareté de la ressource, et donc de la  tendance haussière structurelle de son prix conduira inévitablement les exportateurs à un rationnement des exportations, car ces pays privilégieront de plus en plus leur consommation intérieure et le ménagement de leurs réserves.

Il est important de noter que 30 ans après le pic de production, il y aura une différence de 80 millions de barils par jour (soit 4 milliards de TEP par an) entre le « besoin » en pétrole (courbe verte) et la production (courbe orange). Ces 80 millions de barils correspondent à la production actuelle de pétrole conventionnel, ou encore à six fois la production nucléaire mondiale actuelle.
La question qui reste ouverte concerne donc la date du pic de production pétrolière. Cette date varie en fonction des études des différents organismes :

Organisme Date Source
AIE (Agence Internationale de l’Énergie) 2012 Financial Times, 9 juillet 2007
Total 2020 Reuters, 25 octobre 2006
Shell après 2028  
EDF 2015-2020 Le Monde, 22 novembre 2007
IFP (Institut Français des Pétroles) après 2028 (selon investissements) Conférence, 11 mai 2006
Il est à noter cependant que l’IFP a calculé que les nouvelles capacités en cours de construction ne pourront contrebalancer la réduction de production des puits actuels que jusqu’en 2010-2011. Après, il y aura inévitablement une baisse provisoire de la production.
En résumé, nous devons nous attendre à :

  • Un choc pétrolier majeur dans le début des années 2010, avec une baisse conséquente de la production pétrolière, ce qui induira une hausse des prix
  • Une reprise de la production de quelques années
  • Une baisse définitive avec envolée des cours à partir de 2020-2030

De plus, la plupart des compagnies s’accordent sur le fait que la barre des 100 millions de barils par jour ne sera jamais atteinte (nous étions en 2006 à 82 millions de barils par jour, et au rythme de croissance actuel, nous serions à 100 millions dans 10 ans)
La survenue d’une baisse de production du pétrole va mécaniquement augmenter la spécialisation de ce carburant. En effet, les transports (le pétrole représente plus de 95% de l’énergie consommée par les transports dans le monde et le marché de l’automobile mondial a encore augmenté de 4% en 2007) restera à moyen terme l’application la plus dépendante du pétrole. Le secteur des transports consomme actuellement 50% du pétrole mondial, et il est prévu que ce pourcentage passe à 60% en 2015.
Les autres applications (électricité, chauffage, pétrochimie) seront donc appelées à se rationner, ou à mettre en place des solutions de remplacement.

L’effet « domino » sur les autres énergies classiques

Gaz

Le gaz est l’énergie la plus facilement substituable au pétrole : il est facile à transporter (gazoducs), il peut être utilisé dans nombre d’applications : chauffage individuel ou collectif, génération d’électricité (turbines à combustion), et il peut même servir de carburant aux véhicules (GNV, Gaz Naturel pour les Véhicules).
Paradoxalement, ces avantages du gaz sont aussi ses faiblesses pour un remplacement du pétrole, et ce pour deux raisons :

  • Le gaz étant facilement substituable au pétrole, son cours est calqué sur le prix du pétrole,
  • Un repli massif sur le gaz à partir du pic de production pétrolier va mécaniquement épuiser rapidement les réserves de gaz. Le pic gazier est attendu 5 ans après le pic pétrolier, soit entre 2020 et 2030.

Le gaz ne sera donc qu’une brève trêve dans le passage d’une économie « pétrole abondant et bon marché » vers une économie « pétrole cher et rationné »

Charbon

Pour la clarté de cet article, nous ne développerons pas les incidences écologiques désastreuses que provoqueraient un recours massif au charbon.
On a coutume de dire qu’il reste 150 ans de réserves de charbon au rythme de production actuel. La réalité est bien évidemment plus complexe :

  • L’augmentation annuelle de la consommation mondiale depuis 2003 se situe entre 5.2% et 7.7%. Si nous considérons une augmentation de seulement 2.5% par an,  ce qui est conservateur en tenant compte de la réduction de la production pétrolière, les réserves seront épuisées en 60 ans.
  • Les quatre pays ayant les plus grandes réserves de charbon (USA, russie, chine, inde) sont aussi  classés parmi les cinq plus grands consommateurs, et ce sont de grandes nations industrielles. Après le choc pétrolier de 2010-2011, n’auront-ils pas tendance à privilégier leur consommation intérieure (notamment leur industrie) et leurs réserves au détriment de leurs exportations ?
  • Le charbon peut être converti en combustible liquide(CTL), mais cette conversion a un rendement énergétique faible, d’environ 50%.  Cela signifie que pour fabriquer une TEP de carburant liquide, il faudra 2 TEP de charbon.  Ce « gaspillage » aura une répercussion sur la durée de vie du stock de charbon.
  • Ce que nous appelons « Charbon » sans distinction recouvre en fait de nombreuses qualités d’hydrocarbures, depuis la lignite (qui ne peut servir qu’à la production de chaleur, et donc aussi à la production d’électricité) jusqu’à l’anthracite, produit noble, qui permet la carbochimie, et la conversion en carburant liquide (CTL). Si nous divisons les charbons en deux catégories égales, les charbons nobles (anthracite et bitumineux), et les charbons pauvres (lignite et sub-bitumineux), nous voyons que le ratio production / réserves des charbons nobles est beaucoup moins favorable que celui des charbons pauvres.

Caractéristiques énergétiques ultramarines

Les collectivités ultramarines abritent 2 500 000 habitants et sont baignées par les trois principaux océans mondiaux. Il en résulte une grande diversité naturelle et culturelle. Cependant, certaines caractéristiques liées à l’énergie sont communes à la plupart de ces collectivités.

Insularité énergétique

L’insularité énergétique est définie par l’absence de connexion à des réseaux de grande tailles (câbles électriques, oléoducs, gazoducs).
En attendant le gazoduc transaribéen, toutes les collectivités d’outre-mer sont énergétiquement insulaires, même la Guyane qui ne dispose pas d’infrastructures de transport énergétique au-delà de ses frontières.
Cette insularité implique des investissements importants pour la mise en place des infrastructures nécessaires à l’approvisionnement en énergie (terminaux portuaires pétroliers, gaziers ou minéraliers) et de stockage.
Cette particularité a deux conséquences :

  • Tarifs énergétiques élevés
  • Risques de ruptures d’approvisionnement plus importants

Environnement tropical

À part St Pierre et Miquelon, les collectivités ultramarines sont toutes situées en zone intertropicale. Les besoins en chauffage domestique sont donc marginaux comparés aux besoins en climatisation. 99% des besoins thermiques de ces collectivités sont donc dépendants de l’électricité.

Éloignement de la métropole

Les distances entre les collectivités d’outre-mer et la métropole se situent entre 4 600 Km (St Pierre et Miquelon) et  19 500 Km (Wallis et Futuna) elles sont donc dépendantes du transport aérien pour des raisons administratives (certains concours), pour des raisons de santé (évacuations sanitaires), pour des raisons d’éducation (cycles universitaires), et pour des raisons personnelles (visite à la famille et aux amis).

Production électrique pétro-dépendante

Si nous comparons le mix électrique ultramarin avec le mix électrique mondial, on s’aperçoit de particularités flagrantes :

  • Une très grande dépendance au pétrole (50%),
  • Une faible utilisation du charbon (présent uniquement à la Réunion, en Guadeloupe et en Nouvelle Calédonie) et du gaz,
  • Un taux d’énergies renouvelables (29%) supérieur à la moyenne mondiale, mais encore largement développable.

Le gaz et le charbon demandant des investissements très importants en infrastructure, le remplacement du pétrole dans  l’électricité ultramarine ne pourra se faire que par l’adoption massive de sources renouvelables.

Économies tournées vers le tourisme

La plupart des collectivités ultramarines ont un secteur touristique très actif, ce qui les rend dépendantes du prix du transport aérien, et donc du prix du pétrole.
De plus, les infrastructures touristiques sont énergétiquement très gourmandes : climatisation à outrance, sports mécaniques nautiques, …

Économies dépendantes de l’importation de produits manufacturés et alimentaires

Le modèle de développement ultramarin s’est fondé sur une complémentarité avec la métropole plutôt que sur une autosuffisance locale. Ce modèle induit une grande dépendance vis-à-vis du prix de transport des marchandises.

Conclusion

Nous avons mis en évidence la forte dépendance pétrolière de l’outre-mer. Cette dépendance est préoccupante dans le contexte actuel de crise pétrolière structurelle.
Le recours massif au gaz ou au charbon représenterait des investissements massifs pour un résultat éphémère. Le salut de l’énergie ultramarine ne peut donc provenir que  des énergies renouvelables.
Nous étudierons donc dans un prochain article les différentes énergies renouvelables mobilisables par les collectivités d’outre-mer.

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