C’est vrai, quoi. On nous bassine déjà avec le dérèglement climatique, la fin du pétrole, le trou dans la couche d’ozone, la dioxine dans le lait des vaches et le BPA dans les biberons des nourrissons. Il ne manquerait plus aussi qu’on nous agace avec un autre concept dont la clarté semble s’être énoncée à l’aune de celui, déjà brumeux, du développement durable : la biodiversité.
Et bien c’est fait, et ce depuis qu’en 1986 le National Research Council l’a suggéré à Edouard O. Wilson, professeur à Harvard et père de la sociobiologie. On aurait eu l’air tarte de l’inventer avant ; c’est un nouveau mot pour un nouveau problème – et défi – de notre temps. En soit d’ailleurs, ce n’est pas tant de la biodiversité dont nous allons parler, laissons ça à nos chers scientifiques, mais plutôt de la formulation « érosion de la biodiversité », qui reflète bien le cœur du problème.
Ben oui, ce n’est quand même pas moi (ou toi ou toi, ou toi) qui suis responsable de la disparition du Dauphin du Mekong (la dernière espèce de Mammifère partie dans les limbes cette année) ?! Quand même. Ça doit plutôt être un de ses vicieux industriel chinois, qui déverse allègrement ses produits chimiques dans le turbulent fleuve. Ou un de ces fumeux technocrate laotien bien planqué dans son bureau climatisé qui ne se presse pas pour sortir quelques décrets de protection. Ou bien un de ces gouvernant cambodgien qui sait bien, lui, ce qu’il faut faire – et qui ne fait rien. Certes, ils ont leur responsabilité mais ce serait aller un peu vite en besogne pour me disculper.
Car à l’échelle globale, si la biodiversité recule à grand pas, c’est essentiellement pour les raisons suivantes :
Soit 5 raisons clairement d’origine humaine, cela on le savait déjà. Quelle relation alors avec moi ? Moi qui fait chaque semaine mes courses au magasin pour y acheter ma petite nourriture (souvent) importée, à l’origine quelquefois méconnaissable tant les mix l’ayant produit ont été nombreux, qui a grandi sur une terre ou dans une mer éloignée ; moi qui régulièrement craque pour telle ou telle merveille électronique dont la quantité de matière et d’énergie nécessaire à sa production est inversement proportionnelle à sa miniaturisation ; moi qui m’englue dans un embouteillage quotidien au volant de mon véhicule explosant chaque seconde ses petites gouttes d’or noir au funeste devenir ; moi qui en suis réduit à choisir mes gouvernants à leur bonne tête ou aux nombres de casseroles qu’ils ne traînent pas (mais en terme de vision de développement, on reste encore vraiment sur sa faim).
Car encore une fois, le problème est global tout autant que local. C’est localement que l’on va puiser les ressources naturelles, entamer un peu plus la forêt pour agrandir son champ ou élargir sa mine. Bien sûr, quelquefois l’utilisation a lieu sur place, mais souvent les produits ne sont soutirés que pour être traités puis consommés ailleurs. Prenons quelques exemple pour être bien concret. Lorsque j’ai acheté mon paquet de crevettes congelées, j’ai aidé une firme aquacole industrielle à laisser derrière eux après exploitation une région désertifiée par les sels. Lorsque j’ai acheté mon paquet de feuilles blanches, j’ai aidé une firme d’un consortium japonais à pulvériser au napalm des Eucalyptus pluricentenaires de la forêt primaire de Tasmanie (Nouvelle-Zélande). Lorsque j’ai acheté mon GSM Vini, j’ai aidé des rebelles congolais à abattre un gorille (faut bien manger) parce que la zone en question est en guérilla sous couvert de contrôle de ressources minières dont l’une d’elle, le Coltan, est extraite de mines justement présentes dans la région et indispensable à la fabrication des circuits imprimés. Lorsque j’ai rempli ma voiture du précieux liquide noir, je vais peut-être aider une multinationale pétrolière à pulvériser le Parc Yasuni d’Équateur, malgré l’appel hallucinant de progressisme de son Président. Mon dieu, quel pouvoirs dans ma petite monnaie !
Et finalement, tout cela ne serait pas si grave (!) si, tous comptes faits, la somme de toutes ces pressions et prélèvements n’avait pas depuis la moitié des années 80 dépassé la capacité de la planète ! (excusez du peu). Cela fait 20 ans que nous vivons à crédit et nous continuons à nous endetter, jour après jour, par des actions aussi basiques que celles qui consistent à échanger ma petite monnaie contre des produits au magasin du coin. Nous y reviendrons dans un autre billet.
C’est vrai. Ce n’est pas parce que l’Hippopotame est en voie d’extinction au Congo que cela va changer la face du monde. Certes, mais il est un exemple frappant du mécanisme qui lie la biodiversité à l’écosystème, et l’écosystème à notre propre développement. Quand on décime les hippopotames (-95% en 14 ans), on n’a plus de poisson à manger ! Le cercle biologique, vertueux, logique et efficace peut être résumé ainsi : plantes aquatiques broutées par les hippopotames -> émission de crottes (normal, non) -> engrais naturel pour le phytoplancton -> consommation par des petits animaux microscopiques -> consommation par les petits poissons -> consommation par les gros poissons -> consommation par les humains. Aujourd’hui, sans hippopotames, les lacs sont désespérément et durablement vides de poissons… Bref, pour avoir une assiette pleine, mieux vaut avoir un écosystème qui fonctionne correctement et une diversité riche.
Le problème (que dis-je, l’angoisse) par ailleurs est que les écosystèmes ne réagissent pas linéairement, en s’affaiblissant progressivement sous la pression humaine. Généralement, tant que des points clés ne sont pas touchés, c’est bien ce que l’on observe mais passé un certain point, l’écosystème peut brutalement s’effondrer et il est fort difficile de savoir quand. Il existe ainsi des relations et des espèces clés auxquelles il vaut mieux ne pas toucher. L’une des plus connues est l’Abeille – nous y reviendrons aussi dans un autre billet.
Bref, la richesse ne se crée pas. Elle s’exploite, et intelligemment. C’est en oubliant que nos ressources vivrières s’épanouissent dans un équilibre complexe liant qualité du sol, eau préservée et écosystèmes équilibrés, en niant que la moitié des molécules de nos médicaments proviennent de notre environnement naturel, que l’on dissocie cette « nature » de notre propre développement.
Aujourd’hui, 1 espèce sur 4 est menacée chez les Mammifères terrestres, 1 sur 3 chez les Mammifères marins, 1 sur 8 chez les Oiseaux, 1 sur 3 chez les Poissons, 2 sur 5 chez les Amphibiens et 1 sur 8 chez les Plantes. Au total, un cinquième de toutes les espèces vivantes pourrait disparaître avant 30 ans si rien n’est fait…
Il ne s’agit pas d’être fataliste pour autant. Cette longue litanie de disparitions à venir n’a rien d’inéluctable. Elle n’est que l’état des lieux objectif d’un monde dans lequel l’intelligence a toute sa place pour élaborer des solutions, celles-ci passant déjà par un changement de mes comportements au quotidien.
Nous somme partis bien loin avec nos magasins et notre petite monnaie. Mais, ici, localement, n’avons nous pas aussi un impact important sur notre biodiversité ?
En fait, il faudrait déjà se poser la question de savoir si nous avons une richesse en terme de biodiversité. C’est le cas, même si notre isolement rend les choses un peu compliquées. Le centre de dispersion des espèces dans notre région, compte tenu en particulier des courants marins, est la zone indonésienne. En Polynésie, la proportion d’êtres vivants ayant réussi à faire le chemin jusqu’ici par sauts de puce d’îles en îles est ridicule. Pas bon pour la biodiversité, ça. Par contre, l’isolement a joué à nouveau sur ces espèces arrivées dans de nouveaux milieux très confinés : petit à petit, génération après génération, elles se sont adaptées à ces nouveaux milieux et ont divergé de leurs ancêtres, donnant alors de nouvelles espèces totalement uniques au monde. On appelle ces espèces des espèces endémiques et de ce côté-ci, la Polynésie est plutôt bien dotée. Ainsi par exemple, sur les quelques 900 Plantes indigènes (présentes avant l’arrivée de tout humain en Polynésie), au moins 550 n’existent nulle part ailleurs dans le monde. Pour les Oiseaux, un embranchement bien connu grâce à l’ONG Manu, de même : 28 espèces endémiques sur les 38 espèces terrestres. Cette rareté à l’échelle planétaire l’est aussi au niveau local. Ainsi, il ne reste plus que quelques dizaines de Monarque de Tahiti, de Gallicolombes érythroptères et autant de Martin-chasseurs des Gambiers, tous 3 en danger critique d’extinction.
Et ils disparaîtront si rien n’est fait. Ce fut le sort de dizaines d’espèces d’oiseaux déjà lors de l’arrivée des premiers colons polynésiens, puis autant pour les colons européens. Les raisons ? Les mêmes que partout : prélèvement pour la consommation ou la parure, dégradation des habitats, et introduction de prédateurs (chats, chiens, rats, voire PFF). Avec eux disparaissent un peu du cœur de la Polynésie et beaucoup de sa richesse. À jamais.
Deux vidéos ci-dessous (parce que le billet était long 🙂 ), ainsi qu’un lien vers le site de Yann Arthus BERTRAND, et un vers le rapport WWF Planète Vivante 2008 sur lequel nous reviendrons.
Félicitation !